Parler de
la relation éducative en A.E.M.O / A.E.D est un exercice périlleux car
chaque professionnel travaille avec sa personnalité en référence à des
croyances, à des valeurs personnelles et professionnelles qui lui sont propres.
Je tente
ici d’aborder le sujet, ou, plus exactement, de traduire la conception que j’ai
de cette relation au travers de mon expérience professionnelle et à l’appui de
quelques concepts théoriques qui ont nourri ma pratique, notamment dans le
cadre des entretiens avec les parents. La mesure d’A.E.M.O ou d’ A.E.D concerne
en effet l’enfant mineur mais nous travaillons avec les parents détenteurs de
l’autorité parentale et auprès de l’enfant ou de l’adolescent pour être au plus
près de ses besoins.
L’adhésion
à la mesure d’aide – même quand elle est demandée par les parents – n’est pas
une évidence : un étranger va « s’introduire » dans la famille,
porter un regard sur son fonctionnement. Pour la personne accompagnée, la peur
du jugement, celle du placement de l’enfant sont souvent très présents. Ainsi
la mesure d’aide (qu’elle soit demandée ou imposée) est souvent vécue comme une
menace, une intrusion, une blessure narcissique.
Partant
de cette perception, comment construire une relation où la confiance de notre
interlocuteur est nécessaire ? La bienveillance de notre accueil peut
restaurer une « estime de soi » parfois défaillante ou remise en
cause par l’intervention du service.
Pour
Paul-Claude Racamier, il est essentiel de « pressentir
que toute personne, avant que d’être aimée ou détestée est de même sorte et de
même pâte que nous : de cette glaise commune dont il est dit que l’homme
est fait ».[1]
Dès lors,
toute idée de savoir à la place de l’autre est exclue. Il est ici question des
places et des rôles respectifs dans un cadre institutionnel qui s’impose à
chacun. Pour être aidant, le
professionnel a besoin d’être aidé, éclairé par la personne accompagnée pour
comprendre ce qui se vit dans la cellule familiale.
C’est au
fil de rendez-vous réguliers, inscrits dans la durée que se tisse lentement le
fil de la relation entre le professionnel et la famille et que peut se créer
peu à peu la confiance recherchée.
La
famille nous « met au travail » et vient mobiliser notre capacité à
être professionnel sans oublier que nous sommes avant tout des humains :
le professionnel comme la personne accompagnée (enfant ou adulte) sont reliés à
une histoire personnelle. Ce qui nous est dit – et que nous accueillons dans
une écoute active – vient parfois faire écho à ce que nous vivons ou avons
vécu, à une émotion que nous pouvons comprendre, voire partager :
l’empathie nous permet de rencontrer l’autre au cœur de sa réalité, de sa
souffrance, de ses émotions… Ce qui suppose de pouvoir s’identifier plus ou
moins à notre interlocuteur. Gérard Poussin définit l’empathie comme « un
mouvement perpétuel entre la différence et la similitude. Cette oscillation
donne une mesure permanente de ce qui nous fait autre, tout en étant capable de
nous identifier à notre interlocuteur ». [2]
Nous
pouvons cependant aussi nous heurter à la difficulté de comprendre, voire
désapprouver les propos que nous entendons ou les attitudes dont nous sommes
témoins.
L’intervenant
peut être alors amené à manifester son absence d’approbation ou son
incompréhension. Cela peut apparaître comme un obstacle à la mise en confiance
ou à son maintien. C’est au contraire un facteur sécurisant dans la relation
dès l’instant où le professionnel est
authentique, en accord avec ce qu’il dit. Carl Rogers parle à cet égard de « congruence » ayant vérifié
que se comporter de manière toujours « acceptante » lorsque l’on
éprouve des sentiments inverses est, au contraire, propre à entamer la
confiance de l’interlocuteur. [3]
Cette
notion de « congruence » liée à l’inconditionnalité de la relation, de l’écoute, du
soutien, permet de construire la relation, de sécuriser la personne accompagnée
et peut favoriser un processus de changement dans la relation entre parent et
enfant.
L’inconditionnalité de la relation s’entend
ici comme le fait que la présence du professionnel n’est ni filtrée par le
jugement, ni subordonnée aux attitudes qu’il estimerait positives,
satisfaisantes parce qu’en accord avec ses propres repères. Nous sommes
cependant amenés à nommer le constat d’un danger repéré pour l’enfant.
Il n’est
pas toujours aisé de surmonter seul cette difficulté et la référence à l’équipe
pour « penser » la personne ou la situation familiale vient garantir
le respect du cadre professionnel de cette relation.
Si ce qui
nous heurte ou ce qui échappe à notre compréhension peut être élaboré avec la
famille, avec l’équipe, un autre aspect de cette relation mérite d’être
abordé : l’illusion du « je vous dis tout ». Il peut sembler
gratifiant pour le professionnel de se sentir investi comme un
« confident » mais nous n’avons pas à tout entendre, à tout savoir
sur l’histoire, le présent vécus par la famille et sur l’intimité des
personnes. Nous ne pouvons pas davantage traiter ce qui relève d’autres
professionnels.
Repérer
les frontières dans notre pratique, c’est probablement aussi aider la famille à
restaurer les frontières structurantes mais parfois poreuses ou absentes au
sein du groupe familial.
La
bienveillance, l’empathie, la congruence, la vigilance sur nos limites
professionnelles m’apparaissent comme les outils qui participent à la
construction de la relation avec la personne accompagnée. Ces quelques lignes
s’attachent particulièrement à la pratique de l’entretien avec l’adulte ou le
mineur concerné mais bien d’autres supports permettent de construire la
relation éducative.
En guise
de conclusion sur un thème qui mérite bien plus que cette brève approche, le
« métier à tisser » pourrait, de manière métaphorique traduire la
relation entre le professionnel et la famille :
- Le cadre
institutionnel qui vient imposer la rencontre entre le professionnel et la
personne accompagnée
- Le fil des rendez-vous
réguliers qui tisse peu à peu cette relation
- La navette qui traduit
l’échange constant entre famille et professionnel : chacun donne et reçoit
de l’autre
- La fluidité du tissage
quand la personne accompagnée nous accorde sa confiance
- Les nœuds qui peuvent
ralentir le tissage et parfois l’empêcher
- Les outils qui aident
à « dénouer » : notre engagement dans la relation auprès de la
personne, l’équipe, la supervision, l’évolution du projet de travail pour
l’enfant…
Marie Oberdorff
Educatrice spécialisée
au service AEMO/AED de 1998 à 2016