L’éducateur en AEMO reçoit
tellement d’amour qu’il ne sait parfois plus quoi en faire.
Jugez plutôt : le
quotidien du travailleur social au CODASE c’est un dialogue constant avec
environ 40 enfants, 50 parents, 100 partenaires, 4 juges, 25 collègues. Il est là, l’éducateur, à l’intersection
d’un réseau d’information chargé en émotions fortes puisqu’il s’agit d’enfance
en danger.
C'est un travail permanent car s’il ne rencontre toutes ces personnes
qu’une fois par mois, il porte sur ses épaules et dans sa tête les
préoccupations des familles au quotidien. Éponge empathique chargée de filtrer
le superflu de l’essentiel, l’objectivité de la subjectivité, la demande du
besoin. C’est lui qui s’engage face aux
gens, avec ses mots et ses actes, dans une période où prendre des risques
est déconseillé à qui veut garder la (sa) tête.
Et l’amour dans tout ça ?
Et
bien il est partout, tout le temps, dès lors que deux personnes se rencontrent.
Tout au long de l’intervention de l’éducateur, l’amour revêt différents habits
: l’attente, la passion, la déception, l’incompréhension, la haine … Et dans la
tête de l’éducateur (parfois aussi dans son corps) ça déborde, ça sature, bref
ça ne va plus car tout se mélange. Il ne pense plus qu’avec ce qui ne va pas,
avec ses angoisses, avec son impuissance.
Pour
cela, l’institution propose un espace de respiration, d’oxygénation, qui s’appelle
la supervision.
Tous les quinze jours les
éducateurs se réunissent par groupe de dix avec un professionnel extérieur au
service sensibilisé à la question des relations sociales. Son approche peut
être psychanalytique, systémique, anthropologique … Un éducateur vient prendre
le temps d’exposer la situation d’une famille et les effets de la rencontre
entre lui et cette famille. Contrairement à la réunion d’équipe (autre lieu
collectif institutionnel) il peut déployer méthodiquement chaque recoin, chaque
zone d’ombre sans être parasité par le temps ou la sensation de devoir rendre
des comptes. Ceux qui ne parlent pas travaillent tout autant : ils
écoutent attentivement, rebondissent et font des liens avec les familles qu’ils
accompagnent, prennent des notes mentalement ou sur un bout de papier lorsque
« ça leur parle ».
La
supervision a ceci de spécifique qu’elle se situe à la frontière de
l’institution, un pied dedans et un pied dehors, à la fois pour que le
superviseur puisse échapper aux intrigues institutionnelles tout en sachant de
quoi il cause.
A la suite de ce temps d'échange, de réflexion, l’éducateur repart plus léger, parfois déstabilisé, mais
toujours avec un sentiment de lucidité nouveau.
Certaines questions restent parfois sans réponses mais elles se sont déplacées à un autre endroit où elles semblent moins insupportables, transformées par l’effet de la parole. L'éducateur a réorganisé les affaires,
fait du ménage, entrevu des perspectives nouvelles, partagé un peu de sa charge.
La supervision est une balise, qui nous ancre dans le sol
tout en permettant de remonter à la surface et de sortir la tête de l’eau. Car
on peut vite se noyer dans cet océan d’amour…
JULIEN
GRAZIOTIN
Éducateur spécialisé
Éducateur spécialisé